Photographie de poupée Barbie
Faire la morte
Texte de l’écrivain auteur Philippe Fusaro
Projet d’édition série Poupées Barbie
Elle dit :
Je fais la morte mais il ne me voit pas. Ou bien ne veut pas me voir. J’essaye la morte. De l’être du mieux que je peux. Je ne respire pas. Pendant un temps. Mourir par l’eau, par le feu, il paraît qu’il n’y a pas plus terrible comme mort. Moi, je pince fort le nez et je ferme la bouche. Et surtout, ne pas bouger. Flotter. Me laisser emporter par le courant de la rivière. Sauf que… Sauf que, oui, dans la piscine d’un palace, c’est plus compliqué. La rivière. C’est dur de se l’imaginer avec ce chlore qui sent si fort qu’il te brûle les poumons.
Lui, il ne voit pas que je fais la conne. Les yeux cachés derrière ses lunettes noires, il ne décolle pas de son bouquin. Il fait le concentré mais je ne l’ai pas vu tourner les pages. Il le fait exprès. Pour m’embêter. Je ne vaux pas plus que cinq euros. Je ne vaux pas le prix d’un livre de poche. Pourtant, je suis blonde. Et jolie. J’ai ôté pour lui le haut de mon maillot de bain. Il n’a même pas vu. Ne me regarde plus. Ne me touche plus. Mon slip est blanc. Transparent dans l’eau. Il ne fait plus attention à moi. À ce stade, couler n’est plus nécessaire. Mes sentiments rejoignent le fonds comme ces anneaux qu’on jette au fond d’une piscine et qu’il faut rechercher le plus vite possible, sans respirer. Je reste à la surface de l’eau. Parce que j’ai toujours été comme ça. Être à la surface des choses. Je fais la morte parce que je ne sais plus quoi faire d’autre. Parce que je ne suis qu’une idiote qui attend que mon prince se jette à l’eau pour venir à mon secours.
Lui, il dit :
Je fais mine de lire. Je lis un mot après l’autre mais je n’arrive pas à les assembler. À saisir le sens des phrases. Du coin de l’œil et protégé par mes Ray Ban, je l’ai regardée enlever le haut de son bikini. Je n’ai pas tourné la tête. Faire mine de ne rien voir. Elle pense m’avoir par le cul. Qu’il suffit de remuer les fesses. De bomber le torse, les petits nichons. Dans l’eau, je refuse de la voir. Je préfère fixer son ombre, m’imaginer une Barbarella des mers. Je rêve qu’elle peut être morte. Qu’enfin, je pourrais refermer ce livre qui me lasse. Que je ne comprends pas. J’aimerais pouvoir enfiler mes baskets et me tirer. Loin. Le plus loin possible. I’m a poor lonesome cowboy et tant mieux, sweetie ! Mais j’entends toujours du bruit dans la piscine. Elle sort de l’eau et fait des vagues. Elle avance vers moi. Je ne relève pas la tête. Je fais mine de tourner une page, de suivre le cours de l’histoire, même si je ne sais plus où j’en étais. Je fais le mort pour qu’elle me lâche.